Quelques années en arrière, et je me souviens d'une entreprise où j'avais travaillé comme standardiste, pour payer mes études.

Plus un salarié était au bas de la hierachie, plus il venait tôt dans l'entreprise. Je venais donc la première à 7h30, précédant un ballet quotidien de 200 personnes que le directeur venait clore, à 10h00.

J'alternais mon poste avec trois autres salariées. Deux d'entre elles occupaient le même poste depuis 10 ans. L'une était à ce poste depuis 35 ans. Je n'avais pas grand chose en commun avec mes collegues. Je révais de travailler à l'ONU, j'avais vingt ans. Mais j'avais beaucoups en commun avec tous les employés administratifs du groupe : je suis une femme. Dans cette entreprise, quelque soit le niveau d'études, les femmes occupent un emploi au titre ronflant de Secrétaire ou d'Assistante.

Dès 7h30,  perchée sur mon petit fauteuil à l'accueil, mes joues recevaient la bise de 200 bouches, mes jambes étaient carressées par le froid pénétrant à chaque aller et venue. Je tentais de sourire, je tentais d'éviter la crampe maxillaire malgrès les 40 appels minutes auxquels je devais répondre.

Son Altesse Standardiste que j'étais avait bien peu de droit dans l'entreprise. Le premier droit proscrit : sympathiser avec des salariés à un rang hierarchique supérieur au mien. "C'est mal vu" (sic). Second droit proscrit : avoir un cerveau. Quelle idée, lorsque l'on est standardiste, de faire des études supérieures. Je demandais une semaine pour passer mes examens en janvier. Congès -sans solde- accordé sur le papier. La semaine arrivée, je fus contactée par l'entreprise pour remplacer mes collègues standardistes, ayant un déjeuner d'une "importance capitale". J'arrivais, Code Civil et manuels à la main, ce qui fit froncer les sourcils d'étonnement au responsable juridique lorsqu'il passait devant ma table (pouvait-on véritablement parler de bureau?).

Embauchée à 55 francs de l'heure, je découvrais sur mon bulletin de paye que mon salaire était en réalité de 42 francs de l'heure... "la faute au trente-cinq heures", selon le comptable. Le droit du travail, une piètre préoccupation pour l'entreprise. Un exemple interessant d'application des 35 heures. Une partie de la réduction du temps de travail avait été réglée en applicant la règle du "temps non effectif diffus". J'appris donc, que pour 7 heures de travail, j'avais -sans le savoir- 20 minutes de "temps non effectif diffus", c'est à dire, 20 minutes de temps où j'étais présente à mon poste, mais non efficace, et donc non payée... Comme Monsieur Jourdain découvrait qu'il faisait de la prose, je semblais découvrir que je venais au travail,... mais pour ne rien faire. Pour le plaisir...

Dès les débuts de la télé-réalité, l'entreprise a placé des caméras dans les bureaux des salariés, connectées 24h/24h à internet, pour que les internautes puissent alègrement jouir du spectacle des petites fourmis, travaillant (de façon effective ou non) à leur poste.

Un petit hommage à cette entreprise, maintenant que je suis diplômée. 

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